«O rientation active» pour ses promoteurs, «sélection masquée» pour ses détracteurs, «information renforcée» pour les neutres qui refusent de choisir. Les deux tiers des universités françaises 59 sur 85 proposent désormais d'aider les nouveaux bacheliers à faire le bon choix, en les encourageant ou en les dissuadant de s'inscrire dans telle filière. Officiellement, il s'agit de lutter contre l'échec : plus de 20 % des étudiants abandonnent sans diplôme. Mais certains voient là une façon de sélectionner pour des universités tenues d'accueillir tout le monde.
Modestes. Lancée en septembre dernier par le ministre de l'Enseignement supérieur, l'idée d'une «préinscription» à l'entrée de l'université a tout de suite suscité des hauts cris, notamment de syndicats étudiants. Une circulaire ministérielle est toutefois promulguée en novembre, avec des objectifs plus modestes. On y parle d' «orientation active». Et d'une expérience que seules les universités volontaires mèneront, entre janvier et mars, sans moyens supplémentaires.
Dans la précipitation, chacun a tenté de faire au mieux. Le lycéen de terminale remplit un dossier, par écrit ou sur le site web, où il inclut ses derniers bulletins scolaires, ses notes aux épreuves anticipées du bac, la filière qu'il veut suivre, etc. En général, les universités renvoient des réponses types : elles ont défini plusieurs profils d'étudiants qui réussissent, par discipline. Ceux dont le profil est trop éloigné sont découragés. Des entretiens peuvent leur être proposés dans le cadre des Journées portes ouvertes.
«C'est évidemment mieux pour le lycéen de savoir à l'avance s'il se fourvoie ou non, assure Anita Bersellini, présidente de l'université Paris-XI Orsay, aussi doit-il être informé, savoir par exemple qu'avec un diplôme de sciences physiques, aujourd'hui, on a un emploi. C'est aussi dans notre intérêt. Nous ne souhaitons pas prendre des pas bons, les autres allant dans les filières sélectives. En même temps, ce n'est pas une sélection, l'étudiant s'inscrit où il veut, même après un avis négatif.»
Avec 530 connexions sur le site «Orientation active» de l'université Bordeaux-IV, Yves le Breton, directeur du SUIO (service information et orientation), n'est pas mécontent : «Nous avons eu si peu de temps. Un peu plus du quart de la population concernée les premières années de droit, économie-gestion, commerce, AES a reçu une information approfondie et pu consulter les taux de succès et d'échec de chaque année de licence.» Les lycéens vont maintenant recevoir des réponses types. Mais, faute de moyens, ceux invités à renoncer n'auront aucun conseil particulier. «Pour 135 000 étudiants, nous avons un demi-poste de conseiller d'orientation, regrette Yves le Breton, les lycées sont mieux dotés.»
«Rassurés». A Montpellier-I, Philippe Augé, responsable du projet Orientation active, évoque un «bilan mitigé» : 228 lycéens ont rempli les dossiers, essentiellement de filières générales ayant de bons résultats. «Ils voulaient être rassurés», dit-il. Or le dispositif vise plutôt les bacheliers pro et techno, qui fournissent le gros des étudiants en échec. «On devrait pouvoir leur conseiller des filières courtes, comme les STS et les IUT. Mais le problème est que ces établissements sélectionnent et ne prennent que les meilleurs, avec des bacs généraux. Du coup, ces bacheliers risquent de choisir encore l'université par défaut.»
En butte à une vive opposition notamment syndicale au conseil d'administration, la prestigieuse université Paris-I Sorbonne a choisi de mettre en place une «information renforcée». Un site spécial (1) a été ouvert, où les étudiants peuvent s'autoévaluer et demander un avis. Dans la semaine qui suit, ils reçoivent une réponse type que des enseignants ont toutefois affinée. «Nous avons reçu 2 260 demandes d'avis pédagogiques concernant 9 licences, explique Mireille Chiroleu-Assouline, déléguée à la communication. Devant le succès, nous venons de décider de prolonger jusqu'au 25 mars. Tout le monde peut être gagnant si les étudiants savent mieux où ils vont» .
L'expérience sera-t-elle généralisée l'an prochain ? D'ici là, il faudra lever les réticences des syndicats. Mais aussi des enseignants appelés à animer des réunions d'orientation. Beaucoup s'y sont refusés, estimant que, après la suppression des décharges horaires, il était malvenu de leur demander un surcroît de travail.