Face à une opinion publique incrédule, le monde politique belge tente de réagir à la démission du premier ministre Yves Leterme. Et d'avancer quelques solutions. Ce ne sera pas simple, à en juger par l'embarras du roi Albert II lui-même. Mercredi 16 juillet, le chef de l'Etat réservait encore sa réponse à la démission, annoncée l'avant-veille, du leader chrétien-démocrate flamand.
On a noté, mardi, que le roi recevait en priorité les présidents des régions flamande et wallonne. Pour beaucoup, c'est un glissement vers un possible modèle confédéral : l'Etat central étant bloqué, il faudra peut-être imaginer une discussion directe entre les pouvoirs régionaux. Ils délimiteraient ensemble le champ de leurs compétences laissant, au centre, un Etat encore amaigri mais plus cohérent.
Pour l'instant, les deux grandes communautés se rejettent encore la responsabilité de la nouvelle crise belge. Le parti chrétien-démocrate flamand CD & V et son alliée indépendantiste, la Nouvelle Alliance flamande (NVA), reprochent aux francophones d'avoir saboté les efforts "courageux" de M. Leterme pour rendre le fédéralisme "plus efficace".
Les partis francophones, unanimes, estiment que le premier ministre, qui était proche d'un accord acceptable, a, en fait, été torpillé par ses propres amis, qui le jugeaient trop sensible aux arguments des francophones. Ces derniers s'opposent tant à une scission sans concession de l'arrondissement bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde qu'à une refonte du système de financement des régions.
Aux chrétiens-démocrates flamands qui aimeraient le pousser à "assumer ses responsabilités", le principal leader francophone, le libéral Didier Reynders réplique que c'est à M. Leterme de reprendre son rôle. Problème : le premier ministre démissionnaire a estimé que les vues des uns et des autres étaient désormais "inconciliables". Et son parti diagnostique que "le modèle fédéral est dépassé".
"DIALOGUE DE SOURDS"
Traduction de Ludwig Caluwé, chef du groupe CD & V au Parlement régional flamand : "Nous ne reviendrons pas à la table des négociations pour un nouveau dialogue de sourds. Les francophones ne peuvent refuser le débat sur la régionalisation d'une partie de la fiscalité, l'emploi ou la santé." "L'autonomie, à ne pas confondre avec l'indépendance, est le courant dominant en Flandre. Les Wallons doivent le comprendre", ajoute Luk Vanmaercke, porte-parole du CD & V.
Ce discours peut étonner de la part d'une formation qui a longtemps incarné, aux yeux des francophones, des positions proflamandes mais toujours mâtinées d'un sens de l'intérêt général et d'un engagement proeuropéen très net. Les derniers premiers ministres qu'il a fournis (Leo Tindemans, Wilfried Martens, Mark Eyskens, Jean-Luc Dehaene) furent plus des arbitres du conflit belge – qu'ils entendaient résoudre en instaurant le fédéralisme – que des promoteurs du confédéralisme, voire du séparatisme.
"La nouvelle génération, que les partis francophones connaissent mal, a changé. Le programme du parti est, en fait, confédéraliste depuis 1999 et ses cadres profitent des circonstances pour tenter de le traduire dans les faits", explique le politologue francophone Vincent De Coorebyter. "Le parti s'est radicalisé sous l'influence des indépendantistes de la NVA et ses cadres moyens sont influencés par un discours récurrent sur la Flandre de demain qui se porterait mieux sans la Wallonie", ajoute le chroniqueur flamand Guido Fonteyn.
Le politologue anversois Dave Sinardet entend toutefois, quant à lui, relativiser le rôle du CD & V. Il a aussi ses faiblesses, dit-il. Il ne représente que 30 % de l'électorat flamand, et il est "divisé, sans leadership véritable, et il connaîtrait une chute brutale si la NVA finissait par se séparer de lui".
C'est trois heures après un ultimatum que lui a adressé Bart De Wever, chef de la Nouvelle Alliance flamande, que M. Leterme a annoncé sa démission. "Le tragique de la situation est que, tant pour le CD & V que pour la Belgique, il n'y a pas d'alternative à la présence du parti de M. Leterme au pouvoir", conclut M. Sinardet.
Jean-Pierre Stroobants